Boby16

Le réveil sonne, 07h30, je l'ai réglé pour me lever un peu plus tôt que les autres samedi, parce que ce samedi est spécial. J’ai un rendez-vous galant, non un rencart, bon c'est une première rencontre ce qui est sûr. J’ai reçu un message sur mon portable, c’est lui, c'est Boby16, il me dit bonjour, et qu’il à pensé à moi toute la nuit et encore ce matin, c’est si gentil. Je lui réponds, j’espère qu’il s’est bien réveillé, je pense aussi à lui, et j’ai hâte de le rencontrer aujourd’hui. De rencontrer mon Prince Boby16. Boby16 c'est son pseudo, le mien c'est Iriss20, c’est mon prénom Idriss, sans le "d" et 20 comme mon âge.

                                                       Le réveil sonne
      On s'est rencontré sur GayRomeo il y'a un mois. Je n'accepte jamais de rendez-vous avec les personnes que je contacte sur ce site, ils sont pour la plupart vicieux et même pervers. Je sais même pas pourquoi je me suis inscrit sur ce site, ha! si je sais, incorrigible romantique je me disais que je pourrais peut être, après avoir embrassé des tas de grenouilles, trouver le Prince charmant. Et je l'ai trouvé ce prince charmant, au milieu de tous ces correspondants, dégoulinants de vices et  que ne pensaient qu’à me mettre dans leur lit, je croulais sous les propositions indécentes, entre les plans culs, les partouzes, les séances sado-mazo, les « chocolats Belges », et j’en passe. C’est vrai que les photos que j’ai mises sur mon profil sont assez suggestives, on n’y voit pas mon visage, mais j’ai le torse nu, et il y’a aussi mes fesses dans mon boxer, bon oui Ok ! Je les ai un peu, voir même beaucoup titiller avec des images pareilles. 

Mais moi ce que je voulais, c’était une relation durable, du sérieux quoi, une vrai histoire avec quelqu’un de bien. Mais avec toutes ces mauvaises rencontres, j’étais sur le point d’abandonner, quand je suis tombé sur Boby16. Haaaa… mon Boby16, il a tout ce qu’il faut, un corps magnifique, avec des abdos sculptés comme des tablettes de chocolat, des lèvres à tomber par terre, j’ai pas encore vu le reste de son visage, mais il est beau ,je sais qu’il est beau. Il est intelligent aussi, cultivé, drôle, et il est comme moi, il veut vivre une vrai histoire d’amour, une relation stable, et je sais qu’il est sincère, mon cœur me le dit, ou veux juste le croire, enfin ! Je sais pas, mais bon ! Je veux lui faire confiance, advienne que pourra...

                                             Il est beau, je sais qu'il est beau

Je vais le rencontrer aujourd’hui, on a rendez-vous à 16h, dans un glacier en zone 4, le glacier « Amore », le glacier de l’amour, c’est si romantique…

J’ai fini de prendre ma douche, je vais faire un tour chez le coiffeur, il faut que je me fasse beau pour mon amoureux. La première impression est la plus importante, donc il faut que je lui en donne une très bonne. Aujourd’hui c’est la totale que je me fais faire au salon Classe A, coiffure, soin de visage, manucure, pédicure, il faut que je sois éblouissant.

C’est le moment de la coiffure maintenant. Hummm ! L’esthéticienne a fait du bon boulot, mon visage est nickel, et mes mains sont entre ses doigts de fée, bichonné comme ça, je me sens comme une Diva… C’est qui je vois dans le miroir là, assis derrière moi là-bas ?  Hoooo la bande des dégénérés. Des garçons de mon quartier que je n’aime pas du tout. Ils sont sauvages, arrogants, irrespectueux, ils passent tout leur temps assis dans la rue, à critiquer, insulter, provoquer tout ceux qui passent devant eux, et bien entendu je ne fais pas exception à la règle, bien au contraire, je suis leur proie favorite, quand j’ai le malheur de les croiser, y’a toujours une insulte qui se fait entendre, si c’est pas « Pédé », c’est « Bêêh » ou bien « Femmelette » ou je ne sais quoi d’autre, et ils se mettent à rire comme des hyènes, ils sont tellement Bêtes. Y’a pas un pour rattraper son camarade parmi eux. 

                                                     C’est qui je vois dans le miroir là?

Richard, son teint noir on dirait charbon là, il a presque trente ans et il vit toujours chez ses parents, au lieu de se trouver un boulot, il passe son temps à boire dans les maquis et à prendre crédit. Eli, gros, sale, avec plein de poils partout, il a trois enfants, ou deux, je sais plus, de mères différentes, dont la servante de leur maison sur qui il a fait "chat noir*", et bien sûr c’est sa veuve de mère qui s’occupe de ses rejetons pendant que monsieur continue de soulever les jupes dans le quartier. Marc et Yvan, deux frères, aussi taré l’un que l’autre, ils ont repris au moins cinq ou six fois leur classe, même CEPE, je sais pas si ils ont ça. Et Régis, il n’est pas encore là lui, depuis qu’il a déménagé on le voit moins dans le quartier, et c’est mieux même, façon il m’énerve celui là. C’est lui que je déteste le plus dans leur groupe là, Tchhhhrrr... 

Pourtant avant, quand on était petit, on s’entendait tous très bien, on jouait ensemble tout et tout, mais quand on a eu 12 ou 13 ans, les choses ont changé. Ils ont commencé à se moquer de moi parce que j’étais efféminé, et Régis qui prenait ma défense, s’est vite rangé de leur côté, quand ils se sont mit à raconter qu’il était fan de moi, et que c’est pour ça qu’il me défendait. Et pour bien arranger les choses, il a fait circuler la rumeur selon laquelle c’était moi qui le draguait, et que je lui avais fait plusieurs fois des avances. C’est vrai qu’il ne me laissait pas indifférent à l’époque, mais de là à le draguer ouvertement, jamais je n’aurais fait ça. Et comme on dit de l’amour à la haine il n’y a qu’un seul pas, c’est bien vrai, ce pas je l’ai sauté, je le déteste maintenant, je les hais tous.

Cette histoire à pris une telle ampleur dans le quartier que même mes parents y ont été mêlés. J’ai eu tellement honte, j’étais dégouté. Mais comme toutes les rumeurs qui circulent dans ce quartier d’affairés, celle là a fini par laisser place à une autre. Mais il y’a eu des conséquences, je ne sortais plus, je n’avais plus d’amis, je me suis renfermé, je me suis replié sur moi-même, je n’avais plus de vie dans cette cité, mes amis, ils étaient seulement à l’école, et parmi mes cousins, ainsi que mes deux sœurs qui me soutiennent envers et contre tous.Il y'avait surtout Hamed, le plus cool de mes cousins, on partage beaucoup de choses ensemble, entre autre notre attirance pour les garçons. 
C’est très naturellement qu’il m’a dit qu’il était gay, et c’est lui qui m’a fait découvrir GayRomeo et plein d’autres choses. 

                                           Hamed le plus cool de mes cousins

J’étais un peu amoureux de lui, il est pas mal du tout, mais j’ai dut renoncer à cette idylle naissante, quand il est allé continuer ses études au Maroc, et que ses appels et ses mails se sont fait de plus en plus rare. J’ai appris qu’il était revenu depuis un moment, mais bon, je n’ai pas plus de nouvelles. Et surtout, j’ai autre chose à penser maintenant, mon Boby16 est tout ce qui m’importe aujourd’hui. Mon grand amour, mon grand soutien, il m’encourage à ne pas me laisser faire, à ne pas souffrir à cause de se qu’on pense de moi, à cause de ce qu’on dit de moi. Il dit aussi qu’il faut que j’assume ce que je suis, non pas en étant extravagant, et provoquant, mais en étant en phase avec moi-même. Alors maintenant je marche la tête haute, peu importe ce que j’entends quand je passe, je n’écoute rien de tout ça, avec un mp3 ça marche mieux, hi hi…

Haaaa mon Boby16, il est si intelligent, si spirituel, je le connais pas encore vraiment, mais on se parle sur msn et par sms depuis un mois, et chacun de nos échanges me rend plus amoureux. On conserve le mystère sur nos identités, c’est mon idée ça, je trouve ça excitant, ça me donne encore plus envie de le voir aujourd’hui, et je suis sûr qu’il est dans le même état que moi. Je n’aurais jamais cru pouvoir rencontrer quelqu’un comme lui, Mon Prince au milieu des grenouilles…

Je fini la pédicure, et voilà, je suis une vrai beauté de la tête aux pieds. Un coup d’œil sur ma montre, 12h 30, waho !! Le temps passe tellement vite. J’ai faim ! Je dis au revoir à tout le monde. Ils me répondent tous avec de grands sourires, ils sont forcément contents, avec tout le fric que je viens de claquer dans leur salon. Un regard haineux à la bande de dégénérés, qui est assis près de la porte, et qui a été rejoint par Régis, les énergumènes sont au complet, je mets mes écouteurs pour écouter  « End of time » de Beyoncé  en mettant le volume à fond, mais j’ai le temps d’entendre un commentaire de genre « elle s’est faite belle ho ! », suivit par des rires idiots, j’ai déjà poussé la porte du salon, ils sont tous si ridicules, j’ai faim et ce qui m’importe c’est de rentrer à la maison, Tchhhhrrrrrr...

                                         Je suis une vrai beauté de la tête aux pieds       

Je suis à la maison, un bon plat de tchêp devant moi, Maman fait le meilleur tchêp du monde. Je mange bien, en regardant la télé, un bon verre de bissap glacé dessus, il fait tellement chaud, et je suis calé. Il est 13h30, j’ai un peu plus de deux heures devant moi. Un sms à mon amoureux pour lui dire que mon cœur bat très fort à l’idée que je vais enfin le voir. Il me répond qu’il compte chaque seconde qui passe. Il est si romantique. Hum ! tchêp de Maman là aussi, on dirait y’a somnifère dedans, mes yeux sont lourds comme ça. Bon ! Une toute petite sieste ne serait pas du luxe, j’ai encore un peu de temps avant mon rendez-vous…

Wou ! Jai dormi ho ! Et personne ne m’a réveillé. Il est quelle heure ? 15h 45, c’est pas possible, je vais être en retard. Un tour dans la douche, et je m’habille à la vitesse de l’éclair. Pendant que je me débats pour mettre  mon tee-shirt et les lacets de mes chaussures en même temps, et que je voudrais à cet instant être comme Shiva et avoir six bras, Maman me dit que j’ai eu de la visite, et que je ne devinerais jamais qui c’était. Se rendant compte que je n’avais vraiment pas la tête à jouer à « Question pour un champion », elle se décide à me dire que c’est Hamed, mon cousin Hamed, qui est passé, c’est drôle je pensais justement à lui tout à l’heure. Elle n’a pas voulu me réveiller parce qu’elle sait à quel point mon sommeil est sacré, pour une fois j’aurais bien aimé qu’elle commette un sacrilège. De tout façon il revient, il était un peu pressé parce qu’il avait un rendez- vous dans le coin. Et bien moi aussi j’ai un rendez-vous et il est temps que j’y aille.

                                           Je m'habille à la vitesse de l'éclair
                                                
16H15, je suis dans le taxi direction le glacier. J’envoie un sms pour lui dire que je suis en route. Je viens d’arriver, j’ai le cœur qui bat, il doit être là, on est censé se reconnaitre par la description de nos vêtements, je lui envoie un autre sms pour lui dire ce que je porte, il est peut être déjà là, non, sinon il m’aurait fait signe, mais pourquoi il ne me fait pas signe, je scrute le glacier, mais je cherche quoi ? Je sais même pas à quoi il ressemble, ni ce qu’il a porté. Mais qui je vois assis là bas là, c’est pas vrai…Régis, mais il fout quoi ici lui, sa bande d’idiots là va s’emmener c’est sûr, et là encore ils vont me bousiller mon rendez-vous. Hoooo…
Voilà ça me stresse. Aller !  Il faut que je me calme, je dois prendre sur moi. Il se lève, j’espère qu’il s’en va, il se dirige vers la sortie, tant mieux, de toute façon je préfère me mettre à l’intérieur, la terrasse de ce glacier est bien trop mal fréquentée. Je reçois un sms, c’est mon Prince, il porte un jean blanc, un tee-shirt à capuche vert, et des chaussures blanches. Il doit être sublime.

Mais pourquoi il ne me fait pas signe ?

Je commande un coca, je regarde l’entrée, guettant l’arrivée de mon Boby16. Hééé…Voilà encore ce Régis là qui va entrée ici, mais il va me foutre la paix celui-là, je me cache le visage, je n’ai pas envie qu’il me voit, c’est pour m’insulter dans glacier des gens et puis mon nom va rester ici, « Persona non grata » on va afficher ça avec ma photo. 
Je suis concentré sur menu là on dirait c’est leçon de philo. Je sais même pas où il est, un petit coup d’œil discret au comptoir, il n’est pas là-bas. Je lève doucement là tête, voilà ça en face de moi, et puis il me sourit, il sourit avec qui ? Mais pourquoi il est là, je le lorgne de la tête aux pieds. 

Hein ? Chaussures blanches, pantalon blanc, tee-shirt vert…Wou ! Je suis foutu, à l’extérieur je reste digne et presqu’impassible, mais à l’intérieur il se déroule de vrai funérailles Bété* avec toutes les acrobaties de désespoir qui les caractérisent. J’imagine ce qui va se passer, déjà que mon nom est devenu comme en bas de tapette dans le quartier, à cause d’une histoire sordide, inventé par des bambins mal intentionnés, qu’est ce que ça sera avec toutes les preuves qu’il a a pu avoir. Tous ces messages qu’on s’est échangés sur GayRomeo et facebook, même si c’était pas mon vrai profil, ces sms, où là c’était mon vrai numéro, et surtout les photos sexy que je lui envoyait parfois, pour entretenir la « flamme », c’est flamme là qui est là et puis j’ai chaud comme ça aujourd‘hui. Mais je me suis fais avoir, c’est pas possible. Je sais pas ce qui me fait le plus mal. 
Le fait que je sois bêtement tombé amoureux de lui, avec toutes ses belles paroles et ces photos, au fait c’étaient ses photos à lui, avec le beau corps là ? On dirait hein… Peu importe ! Ou bien c’est le fait que je vais revivre ces moments d’humiliation extrême encore une fois, et en bien pire encore puisqu’il y’a maintenant des preuves à l’appui. Je vais dire quoi à Maman, à Maï, à Fanta, qui pourra me soutenir dans ça là…Je sens une larme orpheline qui va descendre sur ma joue, pas si orpheline finalement, puisque je sens aussi que toute sa famille élargie avec les voisins qui vont la suivre…

Je sens une larme orpheline qui va descendre sur ma joue

Mais non non, je ne vais lui offrir ce plaisir là, avec tout ce qu’il a déjà, je ne vais pas lui ajouter ce bonus là. Je dois garder ce qu’il me reste de dignité ; en même temps il ne reste pas grand-chose, mais je reprends ma mine impassible. En fait je ne suis ni digne, ni impassible, je suis tétanisé, la honte, la surprise, la peur, le dégout, la colère…Un cocktail de sentiments qui a un effet paralysant sur tout mon corps. Je n’arrive même pas à me lever…Il tire la chaise en face de moi, et le grincement que j’entends, me fait penser à la lame de la guillotine qu’on aiguise pour ma sentence à mort. J’irai rejoindre Marie-Antoinette au Panthéon des reines condamnées à mort par le gens du peuple, ces ingrats.

Et puis non ! Les mots qu’il prononce mettent un terme à ma paralysie respiratoire, parce que j’avais aussi arrêté de respirer, ma sentence de mort est levée, je garde la tête sur les épaules et je reprends mes esprits. Ses paroles me rassurent complètement. Il m’explique qu’il a compris que c’était moi, quelques jours après notre rencontre, en même temps « Iriss » et « Idriss » pas besoin d’être allé à Polytechnique pour faire le rapprochement. Il savait que je ne lui laisserais aucune chance, si je connaissais son identité, et ça c’est bien vrai. 

Il m’explique qu’il a compris que c’était moi

Il a donc gardé le mystère, en plus c’était mon idée, et m’a révélé une facette de sa personnalité qu’il cachait à cause de sa bande de pote sans cervelle. Il est désolé pour tout le mal qu’il m’a fait et regrette sincèrement, il pose doucement sa main sur la mienne, c’est vrai il est sincère, je le vois dans ses yeux, il est si beau, si grand, si musclé. Finalement c’était bien ses photos sur GayRomeo, et c'est tant mieux. Je le détestais tellement que  je n’avais même pas vu à quel point il était devenu craquant, à présent je l’aime tellement que j’ai hâte de voir s’il est croquant. Tout est si bien il n’y a plus de soucis. 

Mais attends, il y’a toujours un souci, un souci majeur même…Et ses bêtas de copains là, il en fait quoi. Et bien rien, il en a marre d’eux et de leur comportement puéril. Il a été tout aussi idiot qu’eux, mais maintenant il a grandi, il a changé. Il assume ses choix, même s’il reste discret. Il les voit de temps en temps, mais depuis qu’il a quitté le quartier c’est moins fréquent. Il me parle, je l’écoute, j’aime sa bouche, ses beaux yeux, ses jolis doigts.

21h, on n’a pas vu le temps passer, Maman m’appelle, Hamed est là, il n’a qu’a m’attendre, j’ai trop d’affairages pour lui. Je dois lui parler de mon Boby16, je veux dire, mon Régis, que j’aime. De l’amour à la haine il n’y a vraiment qu’un pas, moi je saute seulement, on dirait je joue marelle, mais la case ou je suis actuellement là, je veux plus sauter encore dêh ! Parce que je suis arrivé à la case « Ciel ».

 Il pose doucement sa main sur la mienne