Marco et sa vie de branché à Abidjan (Episode 12)

Une belle histoire écrite par un idiot

Episode 12: Une belle histoire écrite par un idiot

Après tout se passe vite…trop vite !

Les élèves de tous les coins du lycée accourent jusqu’à nous. Ensuite Ibrahim, le meilleur ami de Jordan, vient le porter, aidé des autres membres de l’équipe de Basket. 

Ils montent en vitesse dans la voiture de Madame le Proviseur, paniquée et ahurie par la tournure dramatique des événements.

Je reste là, debout, immobile et hébété au milieu des spectateurs. 

Je ne sais quoi faire, quoi dire, ni même quoi penser.

Les gens autour de moi parlent, racontent, conjecturent sur ce qui vient de se passer. Je demeure dans cet état second pendant une heure entière. Jusqu’à ce qu’une personne me prenne dans ses bras et que j’éclate en sanglots. Cette personne, c’est Chouchou.

Le chauffeur de ses parents nous attend devant le portail. Nous montons et il nous conduit à la Clinique de l'Indénié, là où a été évacué Jordan.


La Clinique de l'Indénié

Là bas, toute l’équipe de Basket y est. 

J’entrevois Ibrahim qui met les mains sur la tête en signe de torpeur.

Nous nous asseyons sur un banc et attendons. 

Zeynab, la petite amie de Jordan, arrive quelques minutes plus tard, les cheveux ébouriffés avec une dame chétive en pagne, portant un bébé au dos et un vieux monsieur en sahélienne.
Ce sont les parents de Jordan, j’ai déjà vu une photo d’eux sur son Facebook. Ils semblent complètement sous le choc…surtout la mère…

De petits groupes se forment et chacun y va de son commentaire.

Souvent, certaines personnes me toisent avec dédain. Je sens que je ne suis pas vraiment le bienvenu.

- Toi, reste ici, fait Chouchou en se levant d’un coup, je vais chercher à savoir ce qui se passe… !

- Je ne pense pas que ce soit une super bonne idée, je dis.

- Ne t’inquiète pas, je vais m’arranger…!

Chouchou me laisse seul dans la salle d’attente.

Je me ronge les ongles. Je n’ai ce tic que lorsque j’ai du mal à surmonter mon stress. 

J’attends…5….10…15…30 minutes… Et las, je me mets à prier…

Tout d’un coup, j’entends des pleurs…Je me lève… une femme tombe à terre…J’ai du mal à savoir qui c’est… J’avance vers elle… C’est à ce moment là que je vois Chouchou qui arrive ... Il me prend par la main et me fait sortir… pour m’annoncer une nouvelle… J’ai peur… laquelle ?

J'ai peur....


- Il y a une dame qui pleure, dis-je fébrilement, la voix enrouée…

- Je sais mais ton preux chevalier est hors de danger !

- Comment tu le sais ???

- Grâce à Esmel ! Tu oublies qu’il est étudiant à médecine ! Il s’est renseigné auprès d’un de ses devanciers qui travaille ici, Docteur Attoh !

J’arrose Chouchou de questions:

- Mais attends, comment va-t-il ? Il est réveillé ? Est-ce qu’il pourra sortir vite ?

- Héééé ma sœur, on n’est pas dans Grey’s anatomy… la blessure qu’il a n’est pas super profonde, il parait ! La prochaine fois, il pourra se permettre de prendre même une balle pour toi !dit-il pince-sans-rire…

- Ce n’est pas drôle, Chouchou! Fais-je remarquer.

- Ce n’est pas faute d’essayer…

Je reste silencieux. Soulagé mais toujours triste. Puis je ressens une grande, très grande fatigue… 


Nous nous asseyons et attendons encore, je ne sais quoi… 

Les heures passent… et ce n’est qu’à 19h que le médecin annonce enfin à tout le monde que Jordan va s’en sortir…

Je vois de loin sa mère faire un grand signe de remerciement au ciel et Ibrahim qui tombe dans les bras de ses coéquipiers…

- Tu devrais rentrer… Je te raccompagne, suggère Chouchou.

- Je ne sais pas…  Je ne sais pas…fais-je en regardant toute cette joie à laquelle il m’est interdit de participer.

- Ou bien, tu veux dormir chez moi? 

- Non, ma mère risque de me tuer…dis-je en constatant ses 11 appels en absence, Conduis-moi à la maison…C’est mieux…

Aussitôt dit, aussitôt fait. Je me retrouve au pas de la Maison familiale.

J’entends la voix de Maman Elle tempête et gronde. J’ouvre doucement. Mon frère et elle m’attendent de pieds fermes dans le séjour.

Maman tempête!

- J’espère que tu as une excellente excuse pour rentrer à cette heure ! commence-t-elle.

- J’espère bien parce que ça ne te ressemble absolument pas ! ajoute Armel.

C’est étrange mais plus rien ne m’importe. Maman commence à me faire un discours d’une longueur interminable ponctué par les acquiescements de mon frère.

Je suis debout devant eux mais je suis ailleurs… A dire vrai… je suis nulle part….

Maman finit par dire :

- De toute façon, j’ai demandé à Ama de débarrasser la table, tu n’auras pas à diner ce soir !

Si seulement elle savait à quel point je m’en moque….

Je vais directement dans ma chambre et je m’assois sur le rebord du lit. Le regard vide et sans expression. 

Ce n’est qu’à ce moment là que je constate que ma chemise est tâchée de sang…Du sang de Jordan… Cette vision m’arrache le cœur…

J’aurai tant voulu que Christelle soit là. Mais elle dort ce soir chez une de mes tantes.

C’est peut-être mieux ainsi car dans l’état où je suis, je pense que je lui aurai tout déballé…Absolument tout….

Je m’endors … perdu et perclus dans un océan de tristesse…

Le lendemain, je suis réveillé en sursaut par Maman. Madame le Proviseur vient juste de l’appeler. 

Elle tremble de tout son corps après avoir enfin appris la nouvelle :

- Pourquoi est-ce que tu ne m’as rien dit ???

- Rien dit quoi ?

- Que tu t’étais battu !

- Je ne me suis pas battu maman ! On nous a agressés…

- Mais quelqu’un a été poignardé ! Seigneur Jésus!

- Oui oui…

- Oui Oui ???! Tu as été témoin d’une tentative de meurtre et tout ce que tu dis c’est oui oui !

- …

- Et qui a été poignardé, je le connais ?

- Oui, c’est mon ami basketteur qui est venu ici, il y a une semaine!

- Konan ?  ou Kouassi ?…

- Yao Kan Koffi dit Jordan !

- Oui c’est ça ! Je n’arrive pas à croire ce que j’entends…Saint Gabriel ! Protège mes enfants contre le Malin, dit-elle en s’asseyant essoufflée.

Elle me regarde et pose ses mains sur mon visage :

- Et je t’ai puni hier sans chercher à savoir pourquoi. Tu dois être traumatisé par tout ca ! dit-elle d’une voix étrangement vacillante.

Je sens que maman est bien plus bouleversée que moi par cette histoire.

Je prends ses mains et lui dis :

- Ne t’inquiète pas… Je suis là non…sain et sauf et Jordan va bien, sa blessure n’est pas si grave!

Elle se relève et son air de femme forte reprend le dessus :

- Je ne m’inquiète pas…. Prépare-toi, on sort dans 30 minutes avec ton frère !

- On va où ?

- A l’hôpital, voir ton ami !

Je ne peux vraiment protester. A peine j’ai le temps de prendre un livre et mon ordi dans une sacoche que je me retrouve dans la 4 X 4 d’Armel avec maman qui tient son chapelet et sa bible en main. 


Nous sommes en partance pour le Plateau.

Il n’y a pas grand monde sur place. Nous trouvons juste la mère de Jordan et son petit frère encore nourri aux seins. Je pense qu’elle a passé seule la nuit là. La fatigue se lit sur le visage de la pauvre dame.

Jordan, couché dort paisiblement. 

Je laisse Maman trouvée les mots « chrétiens » pour soulager la sienne et je m’approche de lui.

Il est dans une tenue de patient de couleur  blanche, ses lèvres sont sèches, son visage  pâle et mon cœur se froisse quand je le vois…

Mon cœur se froisse quand je le vois...

Mon frère pose une main sur mon épaule en disant :

- Courage frangin, d’ici quelque temps, ton ami sera en forme!

J’ai envie de lui dire de la fermer… Mais bon…

Ma mère nous fait faire une prière et vers 9h, décide de nous laisser. D’une façon surprenante, elle me demande de rester aider la mère de Jordan :

- Tu rentreras à midi ou l’après-midi, si tu veux…

Mon frère me fait un clin d’œil et tous les deux partent.

Je m’assoie ensuite et j’attends… Sa mère s’affaire à coté de moi entre son grand fils blessé et le nourrisson qui a besoin de beaucoup d’attention…

C’est une femme discrète, effacée …peut être même résignée… qui ne regarde personne droit dans les yeux et qui parle toujours tout bas…

Elle donne envie de la protéger… Je pense que Jordan doit ressentir la même chose…

Je lui prends le bébé dans les bras tandis qu’elle prépare de l’eau pour un futur pansement. 

C’est à ce moment même que Zeynab, la petite amie de Jordan, arrive. Elle s’arrête au seuil de la porte et me jette un regard en furie.

Zeynab est furieuse de me voir!

Cependant quand elle aperçoit la mère de Jordan, elle dit tout doucement:

- Bonjour, tantie, comment vas-tu ?

- Bien ma chérie, ca va ici par la Grâce de Dieu…

Zeynab tient en main une corbeille de fruits, des pots de yaourt et un sachet de médicaments.

- Tiens tantie, dit-elle en les lui tendant.

- Que ferions-nous sans toi et tes parents Zeynab. Mon fils a vraiment de la chance de t’avoir dèh…

Je comprends par cette scène anodine que non seulement Zeynab aime Jordan mais qu’en plus, c’est elle qui a pris tout en charge…

Zeynab s’approche du blessé endormi et glisse sa main dans la sienne.

Jordan ouvre les yeux quelques instants, la regarde avec une réelle douceur et les referment comme épuiser par cet effort. Mais juste après, je vois un sourire naitre sur ses lèvres et sa main serrer la sienne. Comme pour lui dire : merci d’être là…

Zeynab et Jordan sont amoureux...

Cette scène ne dure que 5 secondes… et elle est suffisante pour me mettre mal à l’aise et me rappeler que je n’ai rien à ne faire ici…absolument rien…

Zeynab pose un baiser sur son front, se retourne vers moi et d’un geste brusque et ferme me conduit dans le couloir.

- Qu’est-ce que tu fais ici ? me demande-t-elle à brule pour point.

- Je…Je suis venu voir Jordan, mon ami…dis-je d’une voix qui malgré tous mes efforts est balbutiante.

- Ton ami ? Un ami que tu as failli faire tuer !

- Ce n’est pas ce qui s’est passé, tu le sais très bien ! Je m’exclame.

- Peu importe ce qui s’est passé ! Jordan a failli mourir à cause de toi et de ta réputation ! 

Je sursaute et je perds mes moyens :

- Ma réputation??? Quelle réputation !!!

- De toute façon, ce n’est plus important, fait-elle doucement. Si tu considères Jordan vraiment comme ton ami, tu comprendrais que tu es grandement responsable de tout ça… Que ça aurait pu lui coûté la vie… Que tu l’as mis et le mettra encore en danger par tes choix…

J’ouvre la bouche mais aucun son n’en sort… Et si elle a raison ?

Je finis par me calmer… Je lui tourne dos et je repars dans la chambre du malade…Je prends mon sac d’ordi … Je sors un livre, le recueil de poèmes de Khalil Gibran et je le glisse sous l’oreiller de Jordan…

Je glisse le livre sous l'oreiller de Jordan...

Je ne dis au revoir à personne…

Je quitte l’hôpital comme un voleur…comme l’intrus que je suis.

Dans la rue, je décide de marcher un peu.

Je ne me rends compte que je suis allé trop loin que lorsque je me retrouve vers la Corniche de Cocody en plein soleil de midi…

Je prend alors un taxi compteur qui me conduit chez Chouchou, à la Riviera.

Je le trouve assis dans le salon avec Lily… 

A la mine que je fais, tous les deux devinent que quelque chose ne va pas.

Je finis par répondre à leurs regards interrogateurs en disant:

- Il faut que j’efface Jordan de ma tête… Il faut que je l’oublie…

- Je pense aussi… acquiesce Chouchou, Oublier un hétéro est la meilleure des choses à faire, surtout après ce qui vient de se passer… C’est aller trop loin…

Je sens par l’expression du visage de Lily qu’elle veut s’opposer à ma décision…car comme tous les romantiques…elle croyait secrètement en cette histoire…

Elle baisse pourtant les yeux en signe de résignation …

J’ouvre mon pc portable et je commence d’abord par effacer toutes les photos de Jordan, ensuite je me connecte à Facebook et je le retire de ma liste d’amis, là où tout à commencer et enfin j’efface son numéro de mon répertoire téléphonique…

-Ne t’inquiète pas… dit Chouchou. C’est bientôt mon anniversaire et j’ai un pote, Hamed, qui rentre des Etats Unis pour ses vacances, je te le présenterai…Super mignon, tu verras !

William Shakespeare disait : « l’amour est une fumée faite de la vapeur des soupirs...»

La vraie vie n’est pas une série américaine avec une jolie fin pleine de sourires et de bonnes intentions… 

La vraie vie est une belle histoire …écrite par un idiot …

La vraie vie est une belle histoire écrite par un idiot...

Fin de l’épisode 12

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4 commentaires:

  1. Et voilà...je pleure...

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  2. j'adore la dernière phrase!!...tellement pleine de sens!!...Mais toujours aussi impatient de savoir ce que tu vas nous servir la prochaine fois!! c'est un véritable plaisir de te lire!!... j’espère seulement qu'on ne va pas trop attendre et que le nouvel ami va apporter plus de piquants!!...a très bientôt pour ta messe mon IDIOT préféré !!

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  3. c'est vraiment triste pour lui de vouloir mettre une fin à tout ca !!!! la dernière phrase m'as tellement touché egalement mais n'attends pas pour publier le prochain épisode heiinn sordide lol

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