Marco et sa vie de branché à Abidjan (Episode 6)

Le courage d'être soi...

Épisode 6: AVOIR LE COURAGE D’ETRE SOI

Je me dirige vers mes deux amis, Kady et Georges, presque en courant quant tout à coup j’aperçois sortant d’une des classes… une apparition nébuleuse… cotonneuse… gracieuse et arrogante !

Une allure nommée : Chouchou… !

Instinctivement, je me retourne et j’aperçois de loin la 4 X4 Cherokee de mon frère qui n’a pas encore démarré et je distingue sans peine ma belle sœur, Myriam, qui avec ses yeux de lynx essaye de voir ce que je fais. Sa sorcellerie est sans limite. 

Une vague d’effroi me traverse. Je continue à marcher droit devant en ignorant Chouchou et en priant Dieu pour qu’il en fasse autant.

Nous nous croisons et nous nous dépassons. Aucun sourire. Aucun regard complice. Rien du tout. Pendant une seconde, j’ai même l’impression qu’il ne m’a pas reconnu.

Je rejoins mes amis. J’ai les pieds encore tremblants. La peur... surement.

Mais ce sentiment fait place à un autre : la honte.

La honte d’avoir fait semblant de ne pas connaitre mon ami !

Je me sens lâche. Et là, je me rappelle ce que Christelle m’a dit la veille : « Vous n’êtes pas obligé d’obéir au doigt et à l’œil à Maman… Surtout toi,  Marco ! ». Et cela ne s’applique pas seulement à Maman.

J’ai soif de liberté. Mais je renonce toujours devant le moindre obstacle. Je me sens tout d’un coup fatigué… Fatigué de mentir sur mes sentiments…sur mes émotions… sur mes amitiés…Fatigué de toujours, toujours me cacher…

- Comment vas-tu, Marco ? Tu as bien dormi ? demande Kady avec sa douceur habituelle.

- Apparemment non, il fait encore sa tête de déterré ! remarque Georges dans un grand sourire dont il est le seul à avoir le secret.

- Juste un peu fatigué, j’ai pas beaucoup dormi cette nuit...

Je me retourne encore. Chouchou n’est plus là.

Georges s’approche de moi et me murmure à l’oreille :

- Tu as encore passé ta nuit à mater les gos nues sur internet ?

Kady, qui a l’oreille fine, a entendu et fait sa mine scandalisée de sainte n’y touche.

- Hey Georges toi aussi, Marco n’est pas comme ça ohh… Il n’est pas gâté comme toi !

- Oh les amoureux ! s’exclame Georges d’un air taquin, Pardonnez ohh…nous on est encore célibataire ! 

Kady devient toute intimidée. Et moi, légèrement énervé. 

- Ah j’oubliais Kai Kai , dis-je en sortant son affreux Ours en peluche.

Je la lui remets et nous pénétrons dans la classe des Terminales qui est aussi bruyante qu’un essaim d’abeilles.

Je ne vais pas vous mentir. ces deux heures de Français, qui est pourtant l’une de mes matières préférées, se sont déroulées avec la plus grande inattention possible.

   

Je m'ennuie...

...royalement!

                             

Vous devinez aisément pourquoi. J’ai rendez-vous à 10 heures  à la Bibliothèque avec Jordan. 

Dès que le Prof nous fait ses aurevoirs. Je trouve une excuse auprès de mes deux amis et je sors de la classe telle une flèche.  

Avant de me rendre à la biblio, j’ai un impérieux besoin de faire un détour dans les toilettes histoire de me revoir dans le miroir et m’assurer que quelque chose ne cloche pas sur moi.  Je me mets un deo Axe Vice, arrange les cols de ma chemise, prends une grosse inspiration et sort. 

La vielle bibliothèque du lycée est un endroit calme et accueillant. La moitié des livres est délabrée et les bancs sont branlants. Et pourtant, j’aime cet endroit. C’est mon havre de paix. J’y ai mes habitudes. 

Je salue joyeusement la Responsable, Mme Touré, qui a toujours l’air d’être en colère. En fait, je la soupçonne de détester son métier. 

Je trouve un livre qui parle des grands auteurs africains. J’espère trouver une biographie même résumé de la vie d’Ahmadou Kourouma.  

Je me pose sur une pile de livres poussiéreux et je jette un coup d’œil sur ma montre : 10h15. 

Jordan n’est pas encore arrivé. J’ai cours de Maths à 11h00. Ca m’agace donc qu’il ne soit pas encore là.

Je commence à lire le bouquin et je prends note de quelques parties intéressantes.

10h30. Et toujours pas de Jordan. Je me demande s’il n’a pas oublié… Ce serait un comble.

Je me demande s'il ne m'a pas oublié...

 Je suis entrain d’envisager à partir quand j’entends une voix caverneuse et deux autres plus fluettes et rieuses qui troublent le silence de ce lieu.

C’est Jordan… Mais il n’est pas seul. Il est accompagné de un, deux…non trois de ses amis.

Je les reconnais tous. Je les ai vus dans son album photo Facebook. Il y a la cousine Linda, le meilleur ami Ibrahim qui est aussi dans l’équipe de Basket du Lycée, et enfin, Zeynab, la nouvelle petite amie du moment…

Jordan se dirige vers moi avec un large sourire.

- Désolé pour le retard…euh…

- Marc-Olivier…Mon nom est Marc-Olivier… dis-je en tentant de sourire bêtement

Il est habillé en tenue d’EPS (Education Physique et Sportive) avec une balle de Basket dans la main. Des perles de sueur se perdent dans le creux de ses muscles….

Jordan...

 Ses autres amis sont derrières. Par leurs expressions de visages, je devine que c’est la première fois de leur vie qu’ils mettent pieds dans une bibliothèque.

Jordan sort de sa poche une feuille froissée et tachetée et me la tend :

- Je t’avais dis que j’avais commencé les recherches… Voilà un résumé…C’est pas grand-chose hein…

- Je vois ça, dis-je en me rendant compte qu’il n’y a d’écrit que deux lignes.

Les autres me regardent comme si j’étais une curiosité en riant comme des hyènes.

- Jordy Cheri, tu as enfin trouvé un esclave pour faire tes devoirs de maison…Hi hi hi…lance Zeynab.

Jordan se retourne vers elle et lui décoche un regard qui la calme aussitôt. 

- Ne fais pas attention Marc, elle est un peu conne quand elle veut… me dit-il doucement.

Je reste toujours calme. Je sens qu’il y a une émotion qui est entrain de me submerger. Mais je n’arrive pas à l’identifier…

- Alors, continue-t-il, tu penses pouvoir t’en sortir ?

- Oui oui…Donne moi jusqu’à…euh…Jeudi et on se revoit ici…

- Ah désolé, jeudi je ne peux pas…Mais si tu finis les recherches, tu peux me les envoyer sur mon adresse mail…ok ? Pas envie de te faire encore déplacer pour rien…Ok ?

- Hey Frangin, il est l’heure…Tu n’as pas fini là, crie Ibrahim.

Jordan écrit en toute vitesse son adresse mail sur un bout de papier et me dit avec un clin d’œil :

- Allez merci Marc ! Passe une bonne journée.

Et tous les quatre disparaissent de la bibliothèque qui redevient aussi calme et austère que Mme Touré, la Responsable.

Je sais à présent quelle est l’émotion qui est entrain de me submerger… C’est de la tristesse… Une énorme tristesse…

Il est 11h02… Mon cours de Maths a déjà commencé. Je reste assis. Le regard vide. Je me sens vraiment stupide…Très très bête !!!

Et dire que j’ai à peine dormi  de la nuit pour çà. Pour être traité d’esclave…

Ah que je suis bête !

Pfff… Ces hétéros…Tous des connards…

A midi, je décide d’aller manger quelque chose. La cantine commence à se remplir.

Je commande un plat d’Alloco-poisson et je m’assoie à une table non loin de la porte d’entrée.

Kady et Georges arrivent 5 minutes plus tard.

- Hééé Marco, le Prof t’a pointé absent dèh ! s’écrie Kady avec son habituelle exagération.

- Je sais …je m’en fous… 

- Tu étais où au fait ? demande Georges plein de curiosité.

- A la Bibliothèque…

- Tu faisais quoi à la Biblio ? 

- On fait quoi dans Bibliothèque ?

- Ahi on peut faire plein de choses…On peut grèh là bas ! dit-il en éclatant de rire.

Je reste silencieux et Kady joue encore sa scandalisée.

La cantine est maintenant pleine à craquer. Georges est toujours entrain de faire preuve de son humour grivois et Kady de s’en offusquer.

Je suis tellement absorbé par mille pensées que je ne les écoute pas et que je ne me suis pas rendu compte que Chouchou était dans la salle entrain de prendre son déjeuner.

Je l’observe. Il mange seul. Je vois que ses voisins autour lui jettent des regards accusateurs comme ceux quand on était chez Hassan à Adjamé.

Mais lui mange calmement, il assume ce qu’il est. Il s’en fiche royalement. « Il préfère être détesté pour ce qu’il est que d’être aimé pour ce qu’il n’est pas ».

Et surtout au moins lui, il ne se fera jamais traité d’esclave à cause d’un hétéro aussi beau soit-il.

J’observe aussi Kady et Georges. Et je me demande: Est-ce qu’ils resteraient mes amis s’ils savaient que j’étais branché ? 

Oui, quelle est la véritable valeur de leur amitié…

Je ressens encore une fois de la honte…la honte de faire semblant…de toujours faire semblant…de nier ce que je suis  vraiment…

Je me lève lentement… Je saisis mon plateau d’Alloco-poisson et je me mets en marche.

- Ahi, il va où, lui là? s'étonne Georges…

Je ne l’écoute pas. Je continue à marcher. Je sens que ce que je suis sur le point de faire va bouleverser plein de choses. Enormément de choses. Mais j’ai décidé de le faire. De faire ma révolution, d’être courageux…

« Vous n’êtes pas obligé d’obéir au doigt et à l’œil… » 

m’a dit ma petite sœur chérie hier.

Il faut avoir le courage d’être soi…

Je continue de marcher…Mes jambes tremblent… Mes mains sous le plateau aussi…

J’arrive devant Chouchou qui me lance un regard interrogateur…  La cantine devient progressivement silencieuse…Jusqu’à ce que tous les yeux soient braqués sur nous…

J’entends de l’une des tables voisines : « Ahi, lui aussi, il est pédé ? »

« Pédé ». J’ai toujours eu peur qu’on me traitre de pédé…. De Tapette…de « Bèèèh »…Toujours eu peur de ces mots qui font si mal…

Mais c’est bizarre… Au moment où j’entends cela…J’ai arrêté de  trembler… d’avoir mal…d’avoir peur… Après tout, ce ne sont juste que des mots…Et on ne devrait pas avoir peur des mots…Jamais…

Je m’assoie en face de Chouchou et je lui dis :

- Je pense que maintenant…On risque d’être des « copines » pour très très longtemps ! 

On ne devrait pas avoir peur des mots...Jamais...

Fin de l’épisode 6.

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Vous n’êtes plus seuls !